Pourquoi des palissades. Le point de vue du collectionneur.
Raymond Hains est un affichiste associé un temps au groupe des nouveaux réalistes; il va s’affranchir très tôt des étiquettes aussi bien celle de nouveau réaliste que celle d’affichiste. A ce titre les Palissades de chantier sont exemplaires, elles sont le moment (1959) de rupture avec ce qu’il avait mis en place avec ses affiches déchirées et ses photographies. Hains va élaborer une stratégie nouvelle truffant ses oeuvres d’un discours basé sur des jeux de mots - des homonymes homophones -, et des glissements de sens. Ainsi Nicolas Bourriaud dans son Formes de vie dit de la palissade qu’elle est « une matrice verbale, une turbine à ‘mots-valises’… ». Ces mots-valises nourrissent des thèmes récurrents, ainsi la tautologie: palissade/Monsieur de la Palice (… s’il n’était pas mort, il serait encore en vie)/ lapalissade, ainsi le work in progress, le travail en cours: palissades de chantier. Ceci à la façon des comptes moraux ou des fables afin de débusquer sous l’anecdote certaines situations liées au statut de l‘œuvre d’art et à la condition d’artiste. En cela il se rapproche du Marcel Broodthaers des allégories avec ses rapprochement euphoniques (Aigle/Aigre château des aigles/Musée des Aigles : l’Aigle signifie la prise de pouvoir par certains artistes ou institutions muséales. A l’opposé serait la moule : ruse et adaptabilité (Moule/Muse/Méduse). Il s’agit chez ces deux artistes d’exister dans la marge, malgré les vents et marées de la mode, d’élaborer une stratégie de contournement et moquerie du système de l’art et de réappropriation de leur juste place. Soit deux œuvres qui se succèdent, l’une et l’autre anodines ou bouleversantes mais visuellement différentes, voir incompatibles, la seconde serait liée à la première par un passage secret. Pour le repérer il faudrait en passer par l’artiste. Comment l’artiste induit il l’existence de ce commentaire « off » ? Deux méthodes pour une même stratégie, on fera suivre un corollaire.
1.
L’œuvre insuffisante. François Dufrêne l’écrit très justement « Le génie de Hains consiste à s’intéresser à des choses sans intérêt.» (entretien avec Daniel Abadie, 19 mars 1976). On s’inquiète : il ne peut exister d’art aussi simple et aussi sommaire, il doit y avoir quelque chose là dessous. L’œuvre insuffisante ou prosaïque crée un appel d’air par lequel vient s’engouffrer le discours. Comment justifier des palissades dans un lieu d’exposition ? Si l’affiche déchirée renvoyait à la peinture abstraite la citation flattant les gens auxquels elle s’adresse, il n’en allait pas de même des palissades raides d’aspect. Et de fait, suite au réemploi des planches d’un chantier à l’autre, elles étaient détériorées et dépareillées. Le titre de l’œuvre exposée à la Biennale de Paris, La palissade des emplacements réservés, disait que si un emplacement était réservé à l’affichage dans la rue il en allait de même dans le musée où la palissade avait dorénavant sa place ; ce fut considéré comme une provocation. D’où la réaction des Lorjou et consorts ulcérés de voir le musée devenu dépotoir à palissades. Ce type d’oeuvre devançait l’air du temps et, de fait, l’Arte Povera et le Junk art n’étaient pas encore de la partie en cette année 59. Quoiqu’il en soit la place dans un musée d’une palissade tout comme celle des moules et œufs de Broodthaers n’allait pas de soi. D’autres artistes suivront. Fluxus et l’art conceptuel par exemple utiliseront cette stratégie qui consiste à montrer peu ou insuffisamment pour suggérer ou amener un discours. Ce discours en « off » ne peut exister qu’en décalage. Il faut pour dénoncer et signifier un ailleurs un point de fixation : ce seront ces Palissades qui masquent provisoirement le chantier en cours.
2.
Des changements d’aspect fréquents. Il est difficile de reconnaître le même auteur d’une œuvre à l’autre. Hains élabore une stratégie liée non plus à une évolution stylistique, mais à des projets spécifiques, ses chantiers. Aussi les Palissades de chantier ouvrent concrètement et métaphoriquement le propos. Un des effets de cette stratégie selon nous pour la première fois clairement mise en place dans le monde de l’art consiste pour l’artiste à adapter le médium à son propos et non l’inverse, jusqu’alors c’est le médium qui faisait l’œuvre (voir Clément Greenberg). D’où des changements d’aspect déroutants : affiches, palissades, tôles, boites d’allumettes géantes... Quand avec ses palissades Hains en 59 initiait ce cycle d’œuvres nouvelles qui aurait pu penser que cette manière de faire allait se généraliser ? C’est désormais à travers la variété de ses projets que l’artiste se distingue. C’est le cheminement d’une œuvre à l’autre, ce tracé invisible qui fait œuvre tout autant que les œuvres elles-mêmes prises isolément.
3.
D’où le couplage palissade/affiche opéré dans l’exposition. Corollaire à l’indifférence donnée au matériau le fait que Hains ne considérait ses affiches que d’un point de vue particulier. Un mot, une anecdote révélée par l’affiche l’interpellait. Christian Schlatter dans un texte Raymond Hains, fragments esthétiques prochainement publié explique que tout moment, tout fait de vie hainsien doit être citable : « Premier fragment, l’injonction de Novalis : «La vie ne doit pas être un roman que l’on nous donne mais que nous faisons». Aussi, rien d’autre ici que la vie de R.H., sa vie, face et ses accompagnements. Pour que cette vie devienne un roman fait de la vie de R.H., il faut que chaque moment de sa vie puisse être convoqué parce citable, puisse advenir et s’élever à la hauteurd’une citation. » Il en va ainsi de ses œuvres, emportées par leur titre. C’est ce qui distingue le Hains affichiste, un photographe en quête de rencontres, du Villeglé affichiste, un peintre de la sociologie urbaine. Hains est interpellé par un élément de l’affiche qui la phagocyte toute entière et lui donne son titre. Aussi plaçait t’il souvent dans ses expositions une affiche choisie d’après son thème. La palissade à de Feugas, le tract du 3 octobre 1959 et la poubelle de l’école des Beaux Arts de Blois, 1959 –1997 sert de modèle à cette exposition. Le tract est placé à côté de la palissade qu’il dénonce. Le couple tract/palissade relève ici de l’antagonisme. A l’inverse, une affiche mise à sa juste place dans une exposition contribuait à en éclairer les enjeux. Ce fut le cas lors de l’exposition « Raymond Hains, la Tentative », au Centre Pompidou en 2001 avec la présentation dans la même salle intitulée « des palissades aux vérités de la Palisse » de deux pièces fort différentes mais apparentées. La première, une affiche, Sans titre, avant 1963, y figurait en son centre une ouverture, un fond d’affiche bleue qui apparaissait à travers des déchirures. La seconde, la Palissade à la Soto de 74, était une palissade de bois dans laquelle était découpée une fenêtre. A travers ces ouvertures simulées ou réelles le regardeur était invité à participer aux travaux en cours de l’artiste.