Pourquoi Avenue de l’exposition ?
Avenue de l’exposition vient titrer à postériori en 2019 une exposition qui eut lieu en 1962. Elle n’avait pas de titre pour la seule raison qu’elle eut dû en avoir deux, un titre pour critiquer la peinture abstraite, l’autre pour glorifier la peinture du signe. À défaut Isou se contentait d’un laconique Œuvres 1961-1962. Le vernissage eut lieu le vendredi 18 mai 1962 à 18 heures à la galerie Namher, 13 rue des Canettes, dans le sixième arrondissement de Paris.
Pourquoi Avenue de l’exposition ?
Parce qu’il s’agissait d’une installation. Une installation propose un dispositif dont chaque élément ne se justifie que par son appartenance à un ensemble. L’exposition était constituée de toiles. Est-ce à dire qu’elles étaient chacune insuffisante et se devaient compléter les unes les autres ? C’est ce que venait de prouver le livre d’Isou paru en 1961 Le lettrisme et l’hypergraphie dans la peinture et la sculpture contemporaines qui détaillait la stratégie élaborée par l’artiste dans l’exposition qui allait suivre. Et de fait, chaque toile, d’un aspect et d’une technique différente, aborde un sujet autre, les possibilités infinies de la peinture du signe. De telles toiles aujourd’hui seraient dites « conceptuelles ».
Chaque toile proposait une nouvelle formulation de la peinture du signe vers laquelle beaucoup de peintres abstraits informels semblaient s’orienter vers la fin des années 50. L’exposition traduisait ce double mouvement négatif et positif, critique et d’affirmation. À ce titre elle instrumentalisait chacune des toiles montrées.
En développant à la fois plusieurs styles de peinture Isou s’offre une mobilité que la peinture abstraite, ici son concurrent désigné, n’avait pas. Ces œuvres empruntent l’habit de l’adversaire en prétendant qu’il lui sied mieux. Car l’ensemble fait polémique et invalide la peinture gestuelle abstraite. Ce talent mimétique allait se retrouver chez le Buren de l’exposition du Musée Guggenheim habile à dénoncer l’art minimal sur son propre terrain.
Malgré le fait que chaque toile ait été signée on peut considérer que l’ensemble des toiles auxquelles s’ajoutaient quelques sculptures constituait une installation. Isou est coutumier de ce type de négligence. Au début des années 70 et dans les années 80 il signe séparément chaque toile d’une même série alors que le texte inscrit sur ces toiles se poursuit de l’une à l’autre. C’est qu’Isou avait une idée peu rigoriste de l’installation tout en étant un de ses inventeurs. Les peintres d’aujourd’hui dits conceptuels ne font pas autrement.
Pourquoi avenue ?
Parce que « avenue » fait référence à un espace réel, celui de la rue ou avenue. Il semble que l’art contemporain dans les années qui succèdent à Namher, et en ce sens l’exposition est prémonitoire, ait pris le goût du large : lieux off, ateliers abandonnés par les artisans, néons à la lumière blanche et lunaire qui est celle aussi celle des éclairages de rues, abandon de la fiction de la représentation pour entrer de plein pied dans le réel et l’échelle 1/1. L’ensemble du dispositif de l’exposition renvoyait à l’art qui était montré dans le quartier Saint Germain, à la galerie Stadler ou Jeanne Bucher, l’art informel sans en faire directement mention.
Il s’agissait d’une exposition hors-les-murs, en ce sens qu’elle prenait le chemin de la rue pour s’aventurer et apostropher à travers la vitrine l’art en vogue exposé dans les galeries avoisinantes, l’art abstrait informel. Même si les œuvres étaient sagement accrochées sur les murs, à touche-touche, faisant fi de us et coutumes des galeries qui préféraient les isoler pour mieux les mettre en valeur et les vendre, elles s’annexaient en partant à l’aventure la rue et l’art des autres. On songe aux statues parlantes des places de Rome qui communiquaient entre elles par des billets collés par des passants frondeurs. Les toiles d’Isou parlent, invectivent une peinture abstraite qui, par définition, reste muette. Est-ce en cela que résiderait l’échec de Namher, viser une cible artistique fuyante qui allait peu à peu s’effacer sous les coups des pops et des nouveaux-réalistes ? Il n’est pire sourd qui ne veut entendre. Namher s’essayait inutilement à convaincre des abstraits déjà hors course. Peine perdue donc malgré qu’on y constate l’apparition des premières peintures critiques et analytiques qui allaient faire florès à la fin de la décennie. Être en avance de deux coups ne fonctionne pas en présence d’un public peu sensible à l’art. Et même, pourquoi pas, de trois coups si l’on songe à l’artiste des années 80 qui maniait l’art de la critique et de la moquerie en peinture Martin Kippenberger. L’avance théorique et pratique d’Isou fut un handicap insurmontable dans la réception de l’exposition.
Isou à Bruxelles
Isou s’est peu manifesté en Belgique. Une intervention dans le journal + ou – zéro n°21 en 1978, une participation à l’exposition du Musée de Verviers: Art d’extrême occident en 1964, puis, en 1978, au Cirque Royal, l’exposition Ecriture et images, et à l’Abbaye de la Cambre, récemment, en mars 2015 un Project Room organisé par les étudiants de l’atelier de Johan Muyle, quelques brèves apparitions à Garage Cosmos, et c’est à peu près tout. Néanmoins le profil de cet artiste nous est proche, nous, habitants du Bruxelles de Magritte, Mariën, Dotremont, Vandercam, Broodthaers férus d’un art plastique qui touche de près à la littérature.
Jeudi 19 décembre - 19h00
Nous serons heureux de vous acceuilir pour une conférence de François Coadou organisée par Jeunesse et Art Plastique à l'occasion de la parution du livre Isidore Isou aux éditions La Lettre Volée.
L’exposition de Garage Cosmos
Pour illustrer cette proximité de l’art plastique et de la littérature dans la salle d’entrée de Garage Cosmos nous avons mis en relation, côte à côte, deux œuvres rébus, un Nombre d’Isidore Isou et une Plaque ou Poème industriel de Marcel Broodthaers. Mêmes préoccupations mais l’approche diffère. Si les deux artistes se référent volontiers à Mallarmé et Valéry on sent ici chez Broodthaers l’influence de Baudelaire dans le choix de son bestiaire, l’Araignée royale.
Dans la salle principale se tient l’installation constituée de la plaque de l’ « Avenue de l’exposition », avenue ouverte à l’occasion de l’exposition universelle de 58 ainsi que de 21 toiles de divers formats qui faisaient partie des 200 toiles exposées Galerie Namher. Sur le mur de gauche une peinture, constituée de 9 toiles assemblées, « Grand panneau à Comparaisons, 1961 », qui a servi de modèle à l’installation, une reconstitution de l’exposition effectuée sur le mur de droite. Elle l’annonce à la fois par sa conception générale, l’idée qu’un assemblage de toiles puisse constituer une seule et même œuvre par-delà les particularités de chacune des toiles et à la fois par sa dynamique propre : elle obéit à un schéma en croix où au centre nous aurions les toiles monosignes et à la périphérie les toiles réseaux, créant un mouvement à partir de l’élément le plus dense, le plus puissant constitué par les toiles monosignes vers l’élément le plus fluide, volatile constitué par les toile réseaux de la périphérie.
Jusqu’à ce jour, les amateurs qui regardaient certaines des 200 toiles Namher n’avaient pas en tête l’ensemble du processus engagé lors de l’exposition, si bien que c’est leur goût qui dictait leurs préférences, et non la dynamique mise en mouvement par l’artiste lors de l’exposition. C’est cette dynamique qu’Avenue de l’exposition s’essaye de restituer.