De la loi de la jungle à la loi des créateurs. 1975
Le rythme général de cette œuvre infinitésimale et supertemporelle se répartit en trois sections distinctes dont les composants devront, de préférence, être offerts au public dans trois salles différentes. À défaut d’un local suffisamment grand, elle pourra être exécutée dans des emplacements séparés d’un lieu d’exposition ou de présentation unique dans lequel les organisateurs se seront efforcés de créer un sens de visite on de circulation du public.
Chapitre 1 : Ce premier chapitre est composé de 23 ensembles esthapéïristes que les spectateurs découvriront sur un mur, à proximité de l’entrée, mais en marge des emplacements dans lesquels se dérouleront par la suite les expressions supertemporelles inscrites dans les autres secteurs de cette réalisation. Ces ensembles seront constitués par des hypergraphies identiques jointes à des photographies à peu près semblables montrant un adulte, devant un tableau noir d’écolier, expliquer à un enfant des histoires que des figurines et des revues, dispersées sur les documents autour des personnages, indiquent clairement être celles de Tarzan et de la Jungle.
Indifférentes à leur représentation objective, ces particules visibles sont proposées pour être dépassées d’une manière transcendantale et infinie par une image mentale unique où, à la rigueur, par quelques expressions virtuelles à peu près identiques que les participants seront invites à créer, puis à répéter, inlassablement, dans une mono-rythmie hermétique, torturée et sans cesse déformée, par l’emploi successif de mécaniques ou de supports changeants, également imaginaires, suggérés par des titres correspondants à chacun des ensembles proposés. Les significations et les couleurs des lettres et des mots qui composent ces références détermineront chez les spectateurs des stimulus chimiques, physiques, mécaniques ou culturels, réels ou imaginaires, possibles on impossibles, destinés à agir, à des degrés multiples sur tous les sens de leur auteur.
Chapitre 2 : Dans un second emplacement, cette œuvre sera complétée par un matériel composé de statuettes figurant une marche d’animaux sauvages conduite par le héros de la jungle, et par divers documents tels que des livres, des revues, des photographies ou des enregistrements sonores relatifs à l’histoire inventée par Edgar Rice Burroughs, et, par extension, à des performances sportives ou des scènes de violence puisées dans l’actualité.
Ces éléments devront être considérés comme autant de particules esthapéïristes indépendantes, destinées à être organisées en des associations réelles ou imaginaires, dans le contexte de l’œuvre générale, dont ils représenteront des bases de réflexion ou des thèmes infinitésimaux que l’auteur impose aux participants et auxquels ces derniers devront attribuer des significations différentes, en rapport, par exemple, avec les possibilités réelles, imaginaires ou bien encore inimaginables de dépassement de la force physique acquise et des limites actuelles du corps humain par le super-courage, les enrichissements techniques ou des moyens, concevables ou non, capables de contribuer à l’élimination de l’effort dans l’activité humaine, ou tout au moins d’en réduire les effets, pour des récompenses intellectuelles et matérielles également inconcevables.
D’ailleurs, l’exploration de ce thème peut éventuellement se prolonger sur un plan rhétorique par l’organisation d’un débat entre les spectateurs an sujet de l’éthique et des Lois : à cet effet, et dans le but de maintenir la discussion à un niveau évolutif, les responsables de cette manifestation placeront à la portée du public les textes renfermant les idées essentielles de cette discipline, de L’Éthique de Spinoza aux prises de position des lettristes, en passant par les conceptions définies ou adoptées par les surréalistes.
Chapitre 3 : Le dernier segment de cette réalisation consiste dans la présentation d’un certain nombre d’exercices physiques ou intellectuels que les spectateurs seront invités à accomplir au sujet de la préparation, de la réalisation ou de la contemplation d’œuvres artistiques invisibles, acceptées ou refusées.
En débordant des limites habituelles du secteur du rendement et de l’anti-rendement, les efforts en relation avec les accomplissements formels peuvent se constituer en structure artistique indépendante.
Par le dépassement des cadres respectifs des catégories d’auteurs et de spectateurs, ces expressions donneront lieu à des accomplissements dans lesquels le public, introduit comme une simple mécanique supertemporelle de n’importe quel secteur artistique, réaliserait à l’infini, en les complétant, en les abandonnant ou en les délaissant pour que d’autres amateurs les reprennent, n’importe quels efforts - réels on imaginaires - en relation on non avec tous les domaines de la Connaissance et de la Vie.
Les expressions exigées résulteront de l’emploi et de l’utilisation des instruments sportifs ou intellectuels, comme, des bicyclettes, des gants de boxe ou des méthodes de gymnastique, des stylos et du papier, etc., ensemble de matériaux, acquis ou à inventer, réels ou imaginaires, que les participants auront pris soin d’apporter avec eux, ou que les organisateurs auront mis à leur disposition sur les lieux mêmes de la manifestation.
Au fur et à mesure de leur arrivée, les spectateurs, devenus réalisateurs de cette œuvre supertemporelle prendront possession des supports de leur choix pour faire la preuve infinie et sans cesse renouvelée de leurs capacités - ou de leur incapacité, tant il est indiffèrent que ces exercices soient réussis ou ratés - dans le domaine de la multiplication de la force du corps et de l’esprit.
INTERMÈDE APHONISTIQUE. Dans le but d’enrichir cette manifestation par l’intégralité des rythmes qui s’offrent à elle, il souhaitable, notamment pour relancer l’action du public, que les organisateurs et les spectateurs les mieux informés des cadences de l’art interprètent un intermède aphonistique au cours duquel ils introduiront la versification dans leurs accomplissements supertemporels.
Ainsi, dans un profond silence, ils pourront tout d’abord, à l’aide d’un instrument unique, traduire des dépenses énergétiques différentes, entrecoupées selon des quantités déterminées, régulières ou irrégulières, d’efforts identiques qui rappelleraient les formes fixes de la poésie classique; des propositions aussi rigoureuses résulteraient de l’utilisation d’accessoires et d’efforts différents répétés selon des cadences particulières pour arriver ensuite à des exercices beaux en eux-mêmes, accomplis avec élégance et sérieux, sans oublier les accumulations d’expressions concentrées et hermétiques au cours desquelles un seul geste sportif ou un seul effort sera répété et torturé a l’infini, pour terminer, après des réalisations polyautomatiques, irrationnelles, par une phase destructive ou polythanasique, faite d’utilisations ridicules ou dédaigneuses, de refus d’emploi ou seulement de tentatives de descriptions des emplois possibles des accessoires et des efforts proposes.
Naturellement, les expressions visibles, invisibles ou inimaginables – telles que la fatigue, la transpiration, l’accélération du souffle, le fonctionnement des muscles, leur élasticité, etc., jusqu’au dégagement de chaleur sans compter les incidences sur la circulation du sang, sur la nutrition et le système nerveux -, ratées ou réussies, devront à leur tour être dépassées pour d’autres significations ou employées, comme des matières imaginaires, pour la fixation de formes esthétiques acquises ou à venir.
Roland Sabatier (Paris, 6 juin 1975)
Avec la participation de Jeunesse & Arts Plastiques, Bozar Cinema