Allan Kaprow, ce qui nous entoure est à déplacer
Yard 1961 s’inscrit dans les environnements qu’Allan Kaprow conçoit sur la scène artistique new yorkaise, alors en pleine effervescence. Dans cette histoire, Yard est une œuvre phare. Et dans la pratique de l’artiste, elle est une transition entre l’assemblage-collage des années 1950 et le happening qui s’affirme simultanément. Plongeons dans cette histoire en faisant de l’environnement Yard notre phare.
Des espaces
De la définition du terme environnement, Kaprow reprend le sens littéral « ce qui entoure », et précise que « les choses qui le composent ne sont pas nécessairement organisées avec soin, pour établir une cohérence extérieure. Elles sont plutôt arrangées pour produire une interaction entre la personne qui est entourée et les choses qui l’entourent . » En rendant les éléments dynamiques par l’action du visiteur, l’environnement se présente comme une œuvre non figée, ouverte aux variations. Dans Yard, « les visiteurs étaient encouragés à marcher sur les pneus et à les jeter à leur guise ».
Les visiteurs ont pu l’expérimenter pour la première fois durant mai et juin 1961 à la galerie Martha Jackson à New York, dans une exposition collective appelée « Environments, situations, spaces ». C’est le titre également du catalogue compilant les statements des artistes invités : Jim Dine, George Brecht, Claes Oldenburg, Robert Whitman et Allan Kaprow. Ils avaient pris possession de tous les espaces de la galerie ; plaçant d’emblée le visiteur dans une exposition non conventionnelle. Claes Oldenburg avait choisi le sous sol pour présenter The Store par exemple. George Brecht, avec Chair, avait placé trois chaises dans divers lieux dont une de couleur jaune devant la galerie, sur le trottoir. Kaprow, quant à lui, avait choisi la cour. Des centaines de pneus usés et placés en désordre en couvraient toute la surface. La cour était à l’origine le jardin de sculptures de la galerie. Cinq formes émergeaient des tas de pneus. C’était les sculptures de Barbara Hepworth et Alberto Giacometti « qui ne pouvaient pas être déplacées », et qui furent emballées dans du plastique noir et ficelées.
En 1961, cette exposition contrastait avec celles plus respectueuses de l’espace blanc et rectiligne d’une galerie, ou considérant les injonctions telles que « ne pas toucher aux œuvres ». De plus, elle eut un impact dans la cité. La galerie était environnée par d’autres bâtiments, d’autres lieux de vie. Et l’exposition, tout particulièrement l’environnement Yard, a provoqué des visites successives de la police, des pompiers, du département sanitaire. Jeff Kelley raconte que les pneus gardaient l’eau, ce qui développât une colonie de moustiques à un point tel que les voisins se sont plaints . On était loin d’une exposition lisse et sage.
Yard fait de pneus usés, mal odorant, renvoyait à ce qui en général est caché par la société de consommation de masse : les déchets. Le pneu renvoyait par métonymie à un produit phare de la société américaine : la voiture . La journaliste Jill Johnston établit d’ailleurs, dans un article de juillet 1961, une relation non sans ironie entre les choses exposées et les produits de consommation. La galeriste expose, dit-elle, « des produits qui ne s’utilisent pas, ne se vendent pas ou ne portent pas d’étiquette de prix ». Les produits étaient là, plâtrés, éclatés, déformés, suspendus, mis en tas, assurément non figés et déclassés, éloignés de tout rapport marchand. Les reliefs et les sculptures de l’environnement The Store de Claes Oldenburg faits de plâtre et peints de couleurs criardes en étaient paradigmatiques. L’artiste imitait grossièrement des aliments, des contenants alimentaires, des fragments de publicités et des vêtements qu’il avait vus dans les vitrines de son quartier.
Dans les environnements réalisés dans la galerie, les produits étaient exposés dans leur obsolescence et déliquescence. Ils étaient résolument improductifs. En ce sens, on pourrait comparer cette exposition à un mélodrame de la société de consommation de masse.
En commun
Lorsque Martha Jackson invitât les artistes à exposer en 1961 à « Environments, situations, spaces », elle invitât un groupe. Ce n’était pas vraiment un collectif ni un mouvement. Ils partageaient la volonté de modifier la temporalité de l’objet d’art. Ils participaient tous avec plus ou moins de régularité et de dynamisme aux expositions des espaces alternatifs. Ainsi, la galerie Reuben qui ouvrit en 1959 regroupait entre autres Allan Kaprow, Jim Dine, Robert Whitman, Red Grooms, George Brecht, Luca Samaras. La saison 1960-61 avait été consacrée par exemple à des expositions individuelles de Kaprow, Dine, Oldenburg et Whitman. Chacun à tour de rôle avait été invité à habiter l’espace de la galerie pendant un mois, pour expérimenter notamment mouvements, gestes, sons, lumières. La Judson Gallery ou Judson Church fut ouverte en janvier 1959. On y retrouvait sensiblement les mêmes artistes avec aussi des chorégraphes danseurs comme Simone Forti Morris ou des musiciens comme La Monte Young . Dans ces lieux d’expérimentation, Kaprow était très actif. De plus, il faisait figure d’autorité. Son éloquence, sa clarté d’expression, son enseignement à la Rutgers University auprès notamment de Robert Whitman ou Luca Samaras étaient fédérateurs. Il avait participé également aux séminaires de John Cage en 1956 et 1957 à la New School for Social Research de New York. Il y avait rencontré entre autres George Brecht et Dick Higgins. Cage avait ouvert la conscience de ces jeunes artistes aux relations possibles entre l’art et la vie. La musique était dans la sonorité même de la vie par exemple. Fort de ses bagages et expériences artistiques, Kaprow publie un article « Les happenings sur la scène new yorkaise » dans Art News en octobre 1961 . Bien qu’il paraisse quelques mois après l’exposition de la galerie en mai et juin, les œuvres exposées portaient certaines des idées qui y sont développées. Comme par exemple : « Les happenings sont des événements qui, pour dire les choses simplement, ont lieu. (...) Par contraste avec les arts du passé, ils n’ont ni commencement structurée, ni milieu, ni fin . »
L’héritage
Dans la genèse de cette histoire, Kaprow reconnait l’héritage de la première génération d’artistes proprement américains : les expressionnistes abstraits. Il publiât en 1958 un article en ce sens intitulé « L’héritage de Jackson Pollock ». Selon lui, cet héritage offre « deux alternatives. L’une est de continuer dans cette veine. (…) L’autre est d’abandonner complètement la pratique de la peinture ; je veux dire le simple rectangle plat ou l’ovale tel que nous le connaissons . » Il retient la seconde alternative, celle de l’émancipation. Et, en effet, de l’action painting, on peut dire qu’il isole le terme d’action, qu’il le détache de la peinture. L’idée est d’inscrire l’action dans le temps réel, et d’inviter d’autres que l’artiste à agir dans l’espace inventé à cette intention. Les gestes, les mouvements, l’énergie du peintre se trouvaient ainsi libérés du cadre fermé de la « peinture – format ».
Certaines photographies prises pendant la présentation de Yard en 1961 ont été faites en ayant à l’esprit ce qu’a fait Hans Namuth dans la grange atelier de Pollock en juillet 1950 et publiées en 1951 dans Art News. Par exemple, le cadrage de la photographie, où l’on voit Kaprow fumant la pipe entouré de pneus, avec non loin son fils en train d’enjamber un pneu peut renvoyer au cadrage choisi par Namuth afin de montrer le peintre au travail. Ce dernier apparait coincé entre deux étendus de toile : les toiles finies ou en attente de reprise, et la toile en cours de réalisation. Le cadrage photographique étend en quelque sorte l’espace all over de la toile à l’espace de l’atelier ; et l’on peut dire que Kaprow poursuit cette extension avec l’environnement. Les photographies de Namuth ont aussi révélé la chorégraphie spécifique de Pollock lorsqu’il peint. En effet, il peint de la périphérie vers le centre. Cette manière engage une tension corporelle spécifique s’exerçant par des gestes et des mouvements tels que fléchir, se mettre à genoux, s’étirer, enjamber la toile et le sol, lancer les filaments de peinture avec plus ou moins de force, etc. Dans une des autres photographies prises dans l’environnement Yard, on voit Kaprow lancer un pneu dans les airs. Pour Jeff Kelley, « cette image n’est pas un simple document. C’est une invitation à agir ». Et c’est sans doute ainsi que Kaprow a saisi l’œuvre du peintre et les photos de Namuth à savoir une invitation à explorer un nouvel espace par des actions s’inscrivant dans l’espace-temps et issues de la vie quotidienne.
D’autres évènements concourent à ancrer Yard dans l’histoire ou du moins à montrer son importance dans une période de transition. En mars-avril 1961, une exposition « The Art of Assemblage » fut présentée au MOMA de New-York. Dans le texte introductif au catalogue, le commissaire William C. Seitz relie l’art de l’assemblage de la première moitié du 20e avec celui de la génération d’artistes produisant des environnements . Pierre Restany dans un article de 1963 fait le même lien en s’appuyant notamment sur Kaprow. L’environnement est, dit-il à son propos, comme « une extension architectonique du collage », une forme intermédiaire saisie entre l’assemblage des premières années et le happening.
Certains assemblages impliquaient déjà des actions faites par un autre que l’artiste, et pour modifier la temporalité de l’œuvre. Par exemple, dans l’assemblage Rearrangeable Panels de 1957 la disposition des quatre panneaux de bois (sur la surface desquels ont été collés et assemblés des matières, de la peinture, des objets banals) était à modifier à chaque exposition. Les panneaux pouvaient être posés contre le mur, juxtaposés au sol ou arrangés pour former un kiosk ; dans ce cas, une guirlande de lumière surplombait la construction précaire. Le nouvel assemblage était exécuté par Kaprow ou par le commissaire ou encore par le conservateur. En réactualisant la présentation, le temps de montage n’était pas subi mais rendu actif. Avec les environnements, le changement est produit principalement par d’autres participants à l’art à savoir les visiteurs. Il dit à ce propos : « Les spectateurs habituels devenaient des participants et c’est eux qui faisait les changements. Là aussi, la notion traditionnelle de l’artiste de génie est mise de côté en faveur d’une collectivité provisoire (le groupe social en tant qu’artiste) . »
La réinvention
Depuis 1961, Yard a été réinventé à plusieurs reprises par l’artiste, et après sa disparition en avril 2006, par d’autres acteurs de l’art contemporain . « Je dis réinvention, plutôt que reconstruction, parce que les œuvres diffèrent intentionnellement des originales . » Il avait déjà exprimé dans les années 1950 l’idée qu’il ne referait pas un happening, un environnement mais qu’il les changerait. Cela dit, il met au clair cette question au cours des années 1980 lorsqu’il fut confronté à la rétrospective ou aux demandes institutionnelles pour exposer environnements, happenings, activités déjà faits. On peut situer son apparition en 1984 lorsque Kaprow est invité par la curatrice Barbara Haskell à participer à l’exposition collective « Blam! The explosion of Pop, Minimalism, and Performance, 1958-1964 » au Whitney Museum of American Art de New York. Dans l’entretien qu’il donne à la curatrice, il partage son refus d’exposer son passé littéralement, pour privilégier l’invention de celui-ci. « …Al veut faire une rétrospective de mon travail depuis 1957 . À la place, je lui ai suggéré l’invention de mon passé … par exemple : « inventer 1958, 1960, 1963, 1970, 1974, 1980, et ainsi de suite... »… Presque rien n’apparaitrait dans la galerie, puisque le thème central serait l’œuvre spécifique au site après 1957. Et pour chaque pièce « plus ancienne » créée, j’envisage plusieurs versions dans différents endroits et à différents moments . » La rétrospective proposée par Al Nodal n’eut pas lieu. Néanmoins, la réflexion que cette proposition engagée était irréversible. En effet, les rétrospectives suivantes seront fondées sur l’idée « d’inventer son passé ». Sa première rétrospective en 1986 au Museum am Ostwall à Dortmund en Allemagne en est manifeste. Il réinventât entre autres, grâce au soutien de son ami et collectionneur Fluxus Wolfgang Feelisch, l’activité Sweet Wall, le happening Self-Service, 1966, dans divers lieux de la ville. Dans sa seconde rétrospective « Allan Kaprow : Precedings » en 1988 au Centre d’art contemporain de l’université d’Arlington au Texas , le terme de réinvention apparait en toutes lettres sur les supports de communication . Cette rétrospective avait été envisagée comme une série de tâches, comme un processus et non un évènement statique ou une présentation de l’œuvre uniquement par l’archive. Dans le catalogue de cette rétrospective, Kaprow dit à propos de la réinvention : « Tous ces événements avaient pour l’essentiel existé une seule fois et étaient modifiables. Ils n’avaient pas de formes fixes, ils dépendaient du contexte, des participants. Pourquoi donc ne pas continuer en ce sens et modifier la mémoire qu’on en a. (...) » La réinvention est bien un moyen de placer au second plan la dimension historique. La nouvelle version est largement motivée par le contexte, le lieu, les échanges d’idées et décisions prises avec les participants. Ce qui prime, c’est ce qui se passe au moment où cela se passe, et qui ne se reproduira pas.
L’idée qu’un happening puisse être refait par quelqu’un d’autre que lui-même a été clairement posée dans la dernière rétrospective qu’il préparât dès 2005 et qui fut présentée en Europe et aux Etats-Unis (Californie) après son décès le 5 avril 2006 et ce jusqu’en 2009 . Stephanie Rosenthal l’une des curatrices souligne que la réinvention par d’autres donne la possibilité aux nouvelles générations d’expérimenter l’art de Kaprow aussi bien qu’elle est le signe des dispositions qu’il prend pour que les œuvres continuent à vivre après sa mort. Elle précise encore que : « Kaprow a spécifié que dans la mesure du possible, la responsabilité devait être donnée à un seul ‘leader’. La forme de la nouvelle version dépendrait de ce ‘leader’, d’un lieu, d’une temporalité, des participants . » Kaprow n’est plus le seul responsable des réinventions, d’autres individus prennent le rôle de ‘leader’, affectant la forme de l’œuvre et sa réception. Un artiste peut choisir un focus qui sera différent d’un critique d’art, d’un musicien, d’un danseur et ainsi de suite. L’œuvre de Kaprow est ainsi ouverte ou s’expose dans un inachèvement permanent.
Depuis 1961, chaque réinvention de Yard s’appuie sur la même trame : c’est bien cet environnement qui est réinventé et pas un autre. Il y a dans la variance de la permanence. Ainsi les éléments permanents sont : réunir du stuff de la société industrielle et/ou de consommation, saturer le lieu choisi, engager une interaction avec le public et ce qui l’entoure. Cela n’empêche pas de prendre des libertés dans le choix du lieu et des « produits » qui le composent. Pour le lieu, ce n’est pas forcément une galerie comme dans la version originale qui est choisie. Cela peut être une rue, un terrain, un garage ouvert comme pour la version de la Fondation Mudima à Milan en 1991. De même, les produits ne sont pas systématiquement des pneus. Ils peuvent être remplacés par des pancartes comme dans la version Yard (Sign) de Sharon Hayes. Les pancartes étaient plantées dans la pelouse du plus ancien cimetière non religieux de New York (New York Marble Cemetery). Dans Yard (Junkyard) de Josiah McElheny, il n’y avait pas d’objets mais une photographie format travelling, montrant en contre-plongée une vue sur la casse du quartier . Ces deux versions réalisées en 2009 s’inscrivaient dans l’évènement de la galerie Hauser & Wirth New York, Zurich. Une version de Yard a été présentée simultanément dans ses espaces par William Pope.L . Quel que soit le parti pris du réinventeur, chaque version a pour effet de briser le sérieux d’un lieu, de conduire le spectateur/visiteur à vivre autrement un espace connu. Elle est une invitation à agir dans un espace réinventé, sans rechercher, ô spectateur/visiteur, autre chose que de participer.
Corinne Melin,
Le point de vue du collectionneur
Allan Kaprow a créé Yard en 1961 à New York. Yard consistait en des pneus installés en nombre dans une cour, les participants à la manifestation les manipulaient. La configuration de l’endroit choisi à Saint-Gilles pour recréer Yard fait penser à la galerie Martha Jackson où eut lieu l’événement, une arrière cour en ville. À ceci près que la cour de Saint-Gilles conserve le souvenir de son ancienne fonction, un entrepôt, ainsi une poutre qui supportait un système de levage la traverse au niveau du premier étage. L’opposition fonctionnelle des deux locaux témoigne d´une séparation entre le monde du travail et celui du marche de l'art, mais, à y regarder de près elle n’est pas si tranchée. Aux sculptures de Giacometti et Barbara Hepworth situées dans la cour de la galerie répondait, abandonnée depuis longtemps dans la cour de l´entrepôt, une pierre, élément d’une sculpture de l´artiste coréen Lee U Fan. Les dimensions de la cour de Saint-Gilles s’approchent de celles de la galerie Martha Jackson. Sur le certificat que je possède je lis : « “Yard” 1961, Accessoires et pneus de voiture,
Environment: Size: ca. 20’ × 30’, Certified Allan Kaprow 12/28/91 ». Le circa laisse une latitude. On passe des 6 × 9 mètres new yorkais aux 8 × 7 mètres saint-gillois.
Plusieurs versions ont été envisagées. La 1re ouvrir le garage donnant sur la cour (Jacques Donguy et Martin Laborde). La 2e y placer une voiture (Donguy). La 3e : bloquer la moitié du garage par un mur de pneus (Corinne Melin, Laborde), la 4e : fermer le garage (Ferdinand Fabre, Melin, Laborde). Corinne Melin, 5e proposition, a souhaité pouvoir utiliser le local sur rue qui donne aussi sur la cour, encore un souvenir de la Galerie Martha Jackson, l’accès actuel sur l’arrière se faisant par le couloir d’entrée de l’immeuble. Enfin, Christian Schlatter a proposé d’afficher sur les murs de ce local des citations de textes de Kaprow écrits à propos de Yard en 1961. Ferdinand Fabre a envisagé de ne présenter que la lithographie de 1990 de Yard. Elle témoigne d’une certaine ironie, l‘artiste place le mot Yard sur un des côtés du pneu représenté, là précisément où les compagnies qui vendent les pneus mettent leur nom. On a pu voir, le mois dernier à la galerie Fifty One à Anvers des photos de Lee Friedlander commissionnées par le magasine Happer’s Bazaar en 1964. Elles furent considérées comme une contre publicité pour l’industrie automobile. Sur l’une d’elles de vieux pneus sur un trottoir étaient empilés et cadenassés à un poteau de signalisation. Le magasine les refusa. C’est cette critique de la glorification de l’automobile au début des années 60 que Kaprow allait mettre en avant dans la lithographie, critique déjà assumée à l’époque puisqu’il écrit, dans le petit catalogue de l’exposition, que Yard peut être aussi considéré comme une « Junk pile ». La lithographie fait penser à une publicité pour une marque de pneus qui prend sa juste place dans ce local, un pop-up store incertain, un magasin qui vient de s’ouvrir et se cherche une identité à côté d’une épicerie polonaise d’un café portugais, d’une association bouddhiste et de l’entrepôt des Petits riens, sûrement pas une galerie d’art. Car le lieu de l’exposition qui accueille Yard était resté longtemps inoccupé. À quelques encablures de là pourtant, rue de l’Hôtel des Monnaies on trouve l’Hôtel Winssinger, construit par Horta, qui abrite deux galeries. Egalement dans cette même rue, une galerie déguisée qui joue elle aussi une double jeu, Le salon d’art et de coiffure dont l’enseigne fut dessinée par Topor. Les murs laissés vides ou presque du local qui précède Yard en fait une sorte de sas, un lieu de repos avant d’exercer l’activité de Yard, manipuler les pneus.
Je vais tenter de rester au plus près de la formule d’origine en suivant les conseils des personnes déjà mentionnées, Corinne Melin théoricienne de l’art, elle a déjà réalisé plusieurs Happenings de Kaprow, Jacques Donguy qui cumule ou a cumulé les professions de galeriste (de Kaprow notamment), critique d’art, expert de la poésie visuelle, lui-même artiste, Christian Schlatter, philosophe et théoricien de l’art, Martin Laborde et Ferdinand Fabre, des artistes. Il en faut pour recréer Yard ! Je tiens à les remercier tous, ils font partie du projet. Remercier ne me donne aucun avantage. J’ai simplement suivi leurs conseils. J’ai déjà tenu ce rôle de « leader ». Il s’agissait d’une œuvre d’Isidore Isou, La Bibliothèque infinitésimale et super-temporelle dont je devais choisir les livres en fonction des théories de l’auteur et les ranger selon son classement. J’agissais comme « responsable de la bibliothèque ». Leader ou responsable, deux mots d’autorité qui répondent à un seul besoin, faire que l’œuvre vive.
Eric Fabre